ABC de KF / MP - [Rennes - 31 janvier-1er février 2008 (3), 27 février 2008 (1)] - [Arzon - 20 août 2008]



31 janvier-1er février 2008 [3]





Coller des mots au mur. Coller le désordre d’une phrase qui trouve son ordre et s’in vente par le désordre du collage. Le rapport : entre deux mots. Tel mot, avec tel mot. Et avec celui-là ? Tel mot, avec tel mouvement. Et avec celui-là ? Tel mouvement, avec tel son. Et avec celui-là ? Il faut tenir. Sinon je tombe. Ça tient. Tu tiens. Je tiens. L’endroit où ça lâche. Dans le bassin. Tenir un point. Tenir une note. Le courage. Me tenir dans les conséquences du point. Me tenir dans les conséquences de la note. Me tenir dans les conséquences du mouvement. Là, je tiens. Là, ça tient. Tenir : à la vie. Par le corps. Traduire par le corps comment tenir à la vie. Les différents personnages pour dire différentes réponses à comment tenir à la vie. Le travail. Le choix du travail. Le choix d’un langage. Le choix d’une langue. La volonté de traduire. D’une langue à une autre. D’un corps vers un autre. Dans l’espace. Derrière le guichet. Sur le guichet. Devant. Derrière. Dedans. De l’autre côté du guichet. Devant = l’autre côté. Tu es la danseuse. Ton corps est traversé par un trajet dedans-dehors. Ton corps est animé par le rapport entre l’autre (coté) et toi. Ton corps est animé par le mouvement de l’autre-en-toi à l’autre-hors-de-toi. Ton corps est le lieu d’un mouvement de libération. Ton corps est le trajet du rôle joué de ta vie au rôle de ta vie non-jouée. Rôle joué, vie non-jouée. De l’un à l’autre. De l’autre à l’un. Une action. Un mouvement. Vers le présent. Comment entre le jeu et le non-jeu se dit le passé, le présent, l’avenir désiré. Le désir est le vrai nom de la réponse à ce comment. La dernière fois que je t’ai vu tu avais. La dernière que j’ai mangé c‘était. La dernière fois que tu es venu tu étais. La dernière fois que j’ai conduit c’était. La dernière fois que j’ai pleuré tu voulais. La dernière fois que j’ai applaudi je croyais. La dernière fois que j’ai attendu je pensais. La dernière fois que j’ai payé c’était. Tu es, là, comme quelqu’un qui n’a pas vu la forêt, la mer, son père ou sa mère, depuis longtemps. La dernière fois que j’ai vu la forêt nous avions. La dernière fois que nous avons vu la mer ils avaient. La dernière fois que tu as vu ta mère elle disait. La dernière fois que j’ai vu mon père je pensais. Mon corps. Dit le trajet de la parole de l’autre à la mienne trouvée. Ton corps. Dit le trajet de la parole de ton corps. Ton corps. Dit le trajet d’un transfert. Ton corps : est une lettre : qui passe de main en main. Tu écris la lettre. Tu choisis les mains. Transfert du poids. De la parole de l’autre. A la tienne propre. Tu dis. Il y avait une technique - pour tenir – que personne ne m’avait jamais expliquée. Une action. Vidée de sens.

Tu cherches un permis de conduire. Tu cherches un permis de construire. Tu cherches tes papiers d’identité. Tu cherches une carte. Tu cherches des yeux les étrangers. Tu demandes asile. Tu demande naturalisation. Tu cherches dans les yeux des autres la trace de leur voyage. Attention. IMPORTANT. Tu as VINGT ET UN JOURS pour faire enregistrer ta demande d’asile. Attention. NE LAISSE PAS PASSER TON TOUR. RESPECTE S’IL TE PLAIT L’ESPACE DE COURTOISIE. IMPORTANT. Tu as VINGT ET UN JOURS pour faire enregistrer ta naissance. Vendredi 1er février 2008. 14h14. La naissance. C’est la première fois que nous sommes ensemble. Ici. C’est la première fois que tu es seul. C’est la première fois que tu sors. C’est la première fois que tu viens. C’est la première fois que tu tiens. Là. Première fois que tu te tiens. Sur tes quatre pattes. Les pattes, c’est pour les animaux. Pour ton corps d’homme, de femme, c’est jambes le mot. Quatre pattes. Deux jambes. Tu te dresses. Tu portes le poids du corps. Tu animes le poids du corps. Tu es sûre de toi. Tu ne penses pas. Tu es dans l’action. Tu relâches le corps. Tu recommences. Tu reprends. Lentement. Sur le dos. Au sol. Vers le ciel. Tu regardes le ciel. Tu regardes vers le ciel. Tu regardes en direction du ciel. Tu regardes dans la ciel. Tu regardes dans la matière du ciel. Bras tendus ouverts vers le ciel. Tu rampes vers le guichet. Quand les pieds quittent le sol, est-ce que tu voles. Tu regardes le ciel. Tu regardes dans le ciel. Tu regardes dans la matière du ciel. Un avion. Un vol. Un vol Paris-Berlin. Tes pieds quittent le sol. ‘’Je veux que les filles volent’’. Cercle. Tête au sol, pieds dans les airs. Pieds sur le guichet, tête au sol, un doigt pointe le ciel. Tu regardes l’avion qui part pour Berlin. Tu regardes l’avion qui revient de Berlin. Tu viens d’arriver. Tu travailles un aller-retour, doigt pointé vers un vol en boucle. Tu attends l’atterrissage de l’avion. Tu travailles un aller simple. Tu passes à l’action. Tu rases le sol, tu vois le ciel, tu vois le vol, tu t’envoles, tu te lèves. Tu essayes autre chose. Autrement. Tu n’essayes pas. Tu fais. Tu pars d’un autre lieu. Toujours c’est d’un autre lieu que tu pars. Tu pars autrement. Toujours c’est autrement que tu pars. Tu plonges devant le guichet. Tu montes sur le guichet. Tu descends. Tu glisses. Tu glisses d’un coin du guichet à un autre coin. Tu glisses d’un point de l’espace à un autre point. Tu balayes l’espace de ton corps. Tes mains touchent le sol. Tes mains touchent les bords du guichet. Les différentes manières de toucher les rebords du guichet selon que c’est KF sans perruque, la blonde, ou la rousse, l’assistante bilingue, avec, ou sans chaussure, qui touche les rebords du guichet. Tu marches sur les rebords du plateau. Tu marches sur les rebords du guichet. Les arêtes du guichet. Marcher en équilibre au plus proche du vide. Danser = incarner ce mouvement de rapport avec le vide. La joie de ce rapport. L’angoisse de ce rapport.

Un monde plat. Un monde limité. Un monde illimité. Faire le tour : de tout un monde. T’asseoir au bord du monde et le regarder. T’asseoir face au monde et lui parler. Faire un tour du monde. Faire un tour. Un petit tour sur toi-même. Un tour sur tout de toi. Un tour sur tout autour du monde. Un petit tour et puis s’en va. Un petit tour entre ciel et terre. Lentement. Ailleurs. Là. Un petit tour sur une île. Te sentir flotter. Sentir les contours de ton île. Ton île très intérieure. Tremper les mains dans l’eau. Plonger dans l’eau. Sortir de l’eau. Te redresser. Revivre en une seconde dans ton corps l’évolution de l’espèce. Toucher ton corps. Si tu appuies là, ça te fait quoi. Sentir ton corps. Vérifier ta présence. Eprouver les sensations. Etre nue. T’habiller. Te déshabiller. Où mettre les habits. A qui appartiennent ces habits. Ton habit, sans ton corps, ne tient pas. Ton habit : ne tient pas sans ton corps. Ton corps tient sans ton habit. Le rapport corps/habit : un écho au rapport toi/pantin.

La main tremble et frappe le mur. La main tremble et rattrape le vêtement. Le vêtement tombe. Entre le guichet et le mur : un monde. C’est l’emplacement du guichet qui dessine l’espace. Chaque nouvel emplacement du guichet redessine l’espace. Y a-t-il vraiment besoin de rideaux. Chaque nouvel emplacement du guichet dessine un nouvel espace. Le guichet est une frontière et une maison. Frontière : et se dessinent un espace devant et un espace derrière. Maison : et se dessine un espace dedans et un espace autour. Dedans, devant, derrière, autour.

La main vérifie l’existence de la main. Le cul est attiré par la chaise. Le corps est attiré par des points, dans l’espace. Le mur attire le corps comme s’il était une paroi stable pour tenir. C’est l’espace qui tient le corps. Il y a des points dans l’espace où le corps tient. Il y a des points dans l’espace où le corps lâche.

Tu tournes autour de ton île. Tu poses tes vêtements. Tu mets une perruque. Au sol : les vêtements que tu ne portes plus. Au sol : tous les objets dont tu ne te sers plus. Tous les objets dont tu t’es détaché. Le dernier objet duquel te détacher : le guichet. L’avant-dernier : le pantin. ABCdeKF : le récit d’un détachement.

Les vêtements en tas au sol. Les nouveaux cheveux. Ton nouveau visage. Ta nouvelle tête. Tu te reconnais. Tu te vérifies. Est-ce que c’est bien toujours toi. Le corps : la seule continuité palpable entre hier et aujourd’hui. Tu te vérifies, à l’intérieur. Main contre front. Et là-dedans, est-ce que ça bat. Ce n’est pas le cœur, ce n’est pas là le cœur. Tu marches en avant. La main touche et manipule la tête. La main touche et manipule le visage. La main, le corps, explorer le monde, tu marches. Tu changes de visage. Tu sors de ta tête. Tu marches dans le monde. Tu sors de ces quatre murs. Ta main touche ton corps. Ton corps touche le monde. Ta main touche ta tête. Tu sors de ta tête. Tu marches dans le monde. Tu touches ta tête, tu penses : au dedans de la tête, à ce qu’il y a dedans : pensées, matières, cellules, organismes. Tu touches tes jambes, tu penses ‘’tenir debout’’. Et quand tu touches les bras tu penses à quoi ? La dernière fois qu’elle m’a touché les bras c’était. Quand : la main touche la main. Quand : la main touche : pour vérifier. Quand : la main touche : pour déplacer. Quand la main : touche le corps. Quand la main : touche la guichet, le sol, les murs. C’est la même main. Qu’est-ce que la main vérifie à l’identique quand elle touche un objet et quand elle touche le corps. Tu vérifies les présences. Tu voudrais déplacer ce mur. Tu vas déplacer ton corps. La danse de ton corps dira comment ce n’est pas le déplacement des objets qui importe mais le tien seul. Tu déplaces le guichet. Tu te déplaces, déplaçant le guichet. Tu te déplaces dans l’espace. Est-ce que tu pourrais accélérer un petit peu s’il te plaît. Un petit peu plus. Encore un peu. Encore. Accélère. Vas-y. Accélère. Accélère. Jusqu’où tu peux accélérer. Jusqu’où tu peux vérifier. Jusqu’où tu peux te déplacer, dans l’espace.

Comment tenir sur un plateau instable. Avec. Ou sans perruque. Les jambes, la jambe. La tête, les têtes. Rejoindre la perruque. Tu as combien de perruques. Tu as combien de têtes. Tu rejoins : les différentes parties de ton corps. Les différents points de ta vie, tu les rassembles, tu les relies. Tu proposes une lecture reliant différents points de ta vie. Ton corps : le lieu de la lecture. L’espace : le lieu de ta vie.

Etre là toute entière. Mon corps tient par le cul, par la main, par le pied, par la tête. Mon corps tient par la perruque. Par l’habit. Par le nu.

Déplacer : l’espace d’un temps. Avoir : un visage. Avoir : un corps. Est-ce que j’ai un visage. Est-ce que j’ai un corps. Est-ce que je n’en ai qu’un seul. Il m’a montré son autre visage.

Si je prends du recul, est-ce que je franchis plus facilement l’o bstacle.

Ma main vide dessine-t-elle un corps. Ma main vide appelle-t-elle. Mon corps seul dessine-t-il un corps. Mon corps seul appelle-t-il.

J’ai deux corps, et c’est le même. Je n’ai qu’une langue, et ce n’est pas la mienne [je cite de mémoire], Derrida. Le corps qui tient. Le corps qui retient. Retenir = ne pas lâcher. Retenir = se souvenir. Re-tenir. Re-venir. Sous-venir. Sous la jouissance : la mémoire.

Là doucement ramener le corps au guichet. Là doucement ramener la chaise à la table. Là doucement ramener le corps sur la chaise. Là doucement déposer les pieds sur le guichet. Là doucement passer la main dans les cheveux.

Est-ce que je vois mieux le ciel si je regarde le sol.

Mettre. Poser. Remettre. Tenir. Poser. Reposer. Me reposer. M’être posé. M’être bien reposé. Me remettre. Me tenir. Me retenir. Venir. Me souvenir. Bien ranger mes affaires. Mes objets. Ma perruque. Mes habits. Bien ravaler mon sourire. Et lâcher, ce souvenir, qui me revient. Comment te le dire. Il me faudra combien de corps pour te le dire. Il me faudra lâcher combien de corps en moi pas à moi. Pas à pas je lâcherai les corps, un à un, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un, le mien. A la toute fin. Je parle. Je danse. C’est moi. C’est moi enfin.

C’est étrange : ce sont les mêmes mouvements mais l’espace autour a changé. L’espace dedans a changé. Ce ne sont pas les mêmes gestes. Peut-être les mêmes mouvements, oui, mais pas les mêmes gestes. Un autre cœur les anime. Un cœur seul et libre.

Je suis loin, maintenant. Loin du premier jour. Je danse loin maintenant, loin du guichet. Loin du guichet du premier jour. C’est le guichet du premier travail, là-bas. Je danse loin de lui maintenant. Je danse loin de mon premier jour. Je suis parti de là, oui, et aujourd’hui je viens, tandis que je me souviens, aujourd’hui je vais. Je vais : en tout point de l’espace. J’éprouve : les mouvements en chaque point de l’espace où je ne suis jamais allé. Je vais.

Rester. En forme. Inventer. Une forme. Nouvelle. Rester. Jeune. Connaître. Le lieu où tu vieillis. Là, ici. Très précisément. Ici. C’est en cet endroit très précis de ma vie que j’ai vieilli. Ici. Ce n’est pas à une époque de ma vie que j’ai vieilli, non, c’est à un endroit, à un endroit très précis : je sais lequel. Serait-ce cet endroit que tu regardes quand tu vises avec le guichet.

La question du travail. La question du lieu. Travail du lieu, lieu du travail. Travailler = accoucher. Naissance. Origine. La question du lieu : la question de l’origine. La question du travail : la question de la (re)production.

Pendant ce temps-là, les ouvriers rentrent chez eux. La dernière fois que j’ai mangé avec un ouvrier c’était. Laver la table. Pour que la place soit vide et libre. Laver la table. Là où il n’y a rien à laver. Trouver un espace vide. POUR ARTICULER UNE PAROLE NEUVE. C’est dans le vide que tout peut commencer. Face au vide. Dans le vide. C’est avec le vide que tout commence. Cercle. Recommencer. Recommencer les mouvements. Reprendre vie. Recommencer les mouvements, pour s’en souvenir. Pour pouvoir les refaire. Pour trouver autre chose, dedans : le geste.

La bonne perruque. La bonne place. Le bon espace. Tout mettre en ordre. Jeter les vieux objets avec lesquels tu as tant dormi. Ranger tout dans ta perruque. Sortir tout ça de ta tête. Tous les vieux objets, les jeter. N’en garder qu’un. Quel objet tu gardes, si tu dois pour ton corps n’en garder qu’un : lequel tu gardes. Faire tomber le dernier objet. Eprouver la réalité de ton corps seul sans plus aucun objet. TROUVER. Un objet auquel tu tiens. Et le lâcher. Et sans lui : tenir encore. A quoi tu tiens si tu tiens sans lui.

Ta tête aux vents, libre. UNE HABITUDE RECENTE.








27 février 2008 [1]

C’est dangereux comme tu danses sur le guichet. C’est dangereux comme tu danses. Que l’on sente ce danger. Que l’on éprouve à te voir danser le danger qu’il y a à côtoyer le vide lorsque l’on danse. L’absence de lien entre danger et peur.




[20 août 2008]