ABC de KF /MP - [Berlin, 10 mars - 19 mars 2008 (2)] - [Rennes, 23 octobre 2008]



10 mars 2008 – 19 mars 2008 [2]



La feuille. Les feuilles. Ecrire sur des feuilles. Tout écrire. Tout compter. Tout est compté. Tout est énuméré. Numéré. Tout est dit. Tout est écrit. Chaque feuille : est collée sur ce que les mots écrits sur la feuille désignent. Tu écris et tu dis : 22 personnes : pour l’ascenseur. Tu écris et tu dis : 4000 kilowatts par heure : pour la lumière. Tu écris et tu dis : 3,5 tonnes : pour le sol. Tu écris et tu dis : 368 mètres : pour la tour d’Alexanderplatz. Tu écris et tu dis : 10000 fils synthétiques : pour la perruque blonde. Et cette table. N’est pas faite pour que l’on grimpe dessus. Et cette chaise, non plus. Est-ce que traduire, c’est obéir. Traduire, trahir, désobéir. Je vais te traduire des obéir, moi. Une obéissance. Des obéissances. Là, sur la table, tu traces, par ton bras, par la main au bout de ton bras, tu traces à la surface de la table une ligne qui sépare la table en deux et en même temps trace un mouvement vers devant. Tu traces une séparation. Tu traces une trajectoire à prendre. Tu mets une feuille devant ton visage. Tu mets une feuille blanche devant ton visage. C’est parce que tu vas dire ça, ou ça, ou ça, ou ça, que tu mets la feuille devant ton visage. C’est parce que tu mets la feuille devant le visage que tu dis ça, ou ça. Les gestes de la toute fin, les gestes de la danse finale : apparaissent bien avant. On a déjà tout vu de ce que l’on voit à la fin, à la toute fin, mais c’était en fragments, sans continuité, sans unité. Ordre. L’ordre intérieur décidé par soi. L’ordre extérieur subi par soi. Le combat. L’intérieur du corps. Le corps. L’extérieur du corps. Comment le texte ‘’faire un tour’’ arrive. Pourquoi tu changes tout. Pourquoi tu te changes. Pourquoi te changes-tu. Pourquoi tu changes. En 1981, il ne s’est rien passé. En 1989, oui. En 1968, oui. L’évènement seul a lieu. Pas le changement.

Un tour. Pas un petit tour. Un grand tour. Au début du Roi Lear, dans la mise en scène de Sivadier, certains comédiens serrent la main à certains spectateurs. Le contact : avant. Le lien. Le regard public. L’adresse public. Que ce soient les même gestes toujours que l’on retrouve. C’est leurs agencements qui ne cessent de varier et de faire du nouveau. Ce geste bras tendu vers l’ordinateur, c’est le même que celui qui trace la trajectoire sur la table. C’est le même geste qui désigne la tour, là-bas, par delà la fenêtre. C’est le même geste qui balaye l’air et, ou, le ciel, quand tu chantes au micro, sur la table. Le geste est le même. Mais pas l’objet, ou le lieu, qu’il désigne, ou que ta main touche. Le geste n’est jamais le même. Le visage absent, quand tu es sous la table et que l’on ne voit de toi que les deux bras qui dépassent et qui jouent, au-dessus, derrière. L’absence d’un visage. Dont on voit une partie du corps. Et les petits morceaux de gâteaux, avec lesquels jouent les mains qui passent de dessous la table, mais : il n’y a plus la tête, il n’y a plus la bouche. Il n’y a plus de bouche pour les manger. La bouche qui mange. La bouche qui parle. La bouche qui crache. La bouche qui avale. La parole ne doit pas suivre le rythme du mouvement du corps dans la danse. Remettre en cause chaque doit, chaque ne doit pas, chaque il faut. La parole ne doit pas danser. Le corps danse. La parole elle fait quoi. Si la parole danse, le corps il fait quoi. Comment on passe du texte ‘’tour du monde’’ au texte ‘’chambres’’. Les chambres de quels fragments du monde. 1 : le tour du monde. 2 : les chambres. 3 : là, ça tient. Et là, c’est qui ? La danse devant le guichet = le temps de la libération. Et aussi le temps de la cohérence, de l’articulation, de l’écriture de soi : les gestes de la danse finale qui sont là depuis le début, fragments éparses qui trouvent enfin leur agencement. C’est par ton corps, par toi, que cela a lieu : événement. Corps enfin libre écrivant le seul récit de sa vie. Stop. LA ROUSSE EST LÀ POUR LE CHANGEMENT DES CORPS. What does it mean ? Des corps / décor. Changement décor. Et mercredi, le souvenir de lundi : la nuit, la pluie, le vent, la ville, c’était Nantes, dormir dans le train, relire une dernière fois ‘’Vers un chant neuf’’. Commencer ça dans le train, m’endormir, finir au café du métro, rue de Rennes, à Paris, quelqu’un frappe à la baie vitrée du café, c’est S, il travaille au théâtre, à côté, c’est un lundi, j’avais pensé à lui, je ne pensais pas qu’il travaillais aujourd’hui, c’est l’anniversaire de P, demain, c’était l’anniversaire de T, la semaine dernière, ils fêtent ça ensemble, à la fin du mois, revenir à Paris, pour la fête, et une pensée, pour le 22 mars, et des pensées vers S, vers G, ce matin, j’écris un mail, pour dire que je ne serai pas à Rennes le 22 mars, et le message de A, que je reçois ici, à Berlin, son enfant est né, il se nomme S. Il est né hier. Elle dit. Elle écrit. Elle a écrit. Ils ont choisi de faire. D’avoir. Un enfant. De lui donner ce prénom. DONNER. Et l’enfant est mort quelques mois après. Tu écris. Tu envoies un mail, à S, depuis le café du métro avec la dernière version de ‘’Vers un chant neuf’’. Et ces deux fenêtres, ici, Berlin, dans cette pièce, deux fenêtres donnant sur la rue. Buttmanstrasse. Et ces deux lucarnes : mes lunettes. Des trous pour voir. Des passages dedans, dehors. Le regard. La parole. L’immatériel. Le désir. Les corps. La matière. Le contact. La pénétration.

11h01. Katja dit : ça y est, je suis prête. Elle demande est-ce que tu sais ce que c’est un cookie. [11h02 – INTERRUPTION – 12 mars 2008]. [12 mars 2008, 12h00]. [12 mars 2008, 14h30]. Il semble que j’ai beaucoup plus de temps que prévu. Il semble que je pensais arriver juste pour le début. Il semble que je pensais que lorsque j’arriverai ça commencerait. Ex-tradition. Une ancienne tradition. Ex-pulsion. La hauteur de la tour. Où que j’aille. La tour à Berlin. La tour à Nantes. Ici à Nantes : masse sombre menaçante. Ici à Berlin : haute tour et sa boule comme un visage qui tu regardes où que tu te trouves dans la ville. La surveillance. Vivre sous les yeux de. Il n’est pas trop tard. Es ist nie so spät. Il n’est jamais trop tard. Tu entres. Tu regardes. Tu écris. Tu te souviens. Tu écris. Avec ceux que tu viens de quitter. Avec. Ce que tu viens de quitter. Avec le passé proche. Le lointain : inscrit en toi, profondément. Le passé proche est à l’extérieur du corps. Le passé lointain est à l’intérieur. Lumière. La lumière. Tu lis. Tu fais la lumière. Tu découvres la lumière. Tu vas à la lumière. Tu désignes le sol. La perruque. D’abord : tu lis. Là, tu dis : c’est au tour de la lumière. De venir. C’est à ton tour de faire un tour. En pleine lumière. Chacun son tour. Un tour de manège. C’est à moi, maintenant, maintenant c’est mon tour. La lumière. Le sol. La perruque. Sans regarder : ni la lumière, ni la chaise : les considérer, par la conscience de la présence commune. Pas de commentaire. Ne pas jouer. Etre. Effacer la visibilité du je(u). 453 mètres. Tradition : désigner le monde. Modernité : assistante bilingue. Non. Si je prends du recul : est-ce que je franchis plus facilement l’obstacle. Si je prends une veste. Il faut qu’elle tombe. Il faut. Il ne faut pas. Il. Faire tomber les masques. Mettre une perruque. Mon visage véritable, regarde-moi, maintenant. Regarde-moi enfiler une veste. Regarde-moi l’accrocher au mur. Il n’y a pas d’accroche. Attends. Attends que la veste soit au sol. Attends la fin de la chute de la veste. 10000 fils. 350 mètres. 22 personnes. Quand tu lis, tu mets les feuilles face à ton visage. Tu fais quoi de ces feuilles. Faire tomber les feuilles. Les coller au mur. Un papier peint. Habiller les murs de la maison. Les murs de la chambre. Les feuilles ne tiennent pas au mur. Tenir. Il faut tenir. Les feuilles ne tiennent pas plus au mur que le veste. Qu’est-ce qui tient. A quoi ça tient. Ne montre pas les feuilles. Regarde-les. Pause. Faire une pause. Tu te retrouves sur cette chaise, derrière le guichet, sans comprendre. Tu regardes là : tiens, il y a manger. Tu décides de t’asseoir sur cette chaise. Tu sais qu’il y a à manger, là. Pause. Reprise. Faire un tour. Sur toi-même. texte ‘’faire un tour’’, tu dis le texte doucement pour commencer, puis de plus en plus fort, jusqu’à une ambiance de fête foraine, de fête de la bière C’est dans le brouhaha de la fête que tu passes du monde (texte ‘’faire un tour’’) aux chambres (texte ‘’chambres’’). Oui. Tu entres. Tu regardes. Tu te souviens. Tu écris. Tu traces au sol une ligne à ne pas franchir. Espace de confidentialité. Tu la traces mentalement. Le micro : est braqué sur le clavier. Le son du clavier. Micro : braqué vers la machine qui va diffuser. Micro sur le clavier de la machine qui va diffuser le son. Le son du clavier. On entend le son du clavier. Quelque part. On voit la machine qui donne le son. Pas de commentaire. Ne pas grimacer. Sauter sur le plancher. Avant d’écrire ‘’cette table…’’ : est-ce que tu regardes la table. Pourquoi avant. Je dis : c’est parce que tu touches la table et que tu la sens sous ta main que tu la regardes. C’est parce que tu sens que tu regardes. C’est parce que ntu regardes que tu vois. C’est parce que tu vois que tu écris. Et parce que. Et par ce que. C’est parce que tu sens la chaise sur laquelle tu es assise que tu écris la suite. Il y a : le moment où tu retournes à la porte. Là où tu es arrivée. Le lieu du retour. le lieu de l’arrivée. Le lieu du départ. Le point de départ. Un endroit. Le même. C’est là où tu es arrivée. C’est là où que tu as dit le premier mot. C’est là où tu t’es arrêtée quand tu es arrivée. C’est là où tu t’es arrêtée pour regarder. Le lieu du premier regard. Le lieu du premier mot. Premier écrit. Premier dit. Premier mouvement. [C’est le stade de foot autour duquel tu cours. Au centre duquel tu t’évanouis. MP] C’est la table sur laquelle tu grimpes et de laquelle tu te précipites vers devant. QUAND TU ES ARRIVÉE LA PREMIÈRE FOIS QUE TU ES VENU. Cette veste tu veux qu’elle tienne. Ça devient un geste important. C’est un geste important. Tous, ils sont importants. Tous, ils ont une raison d’être. Sinon, ils ne sont pas là. Et ils sont là. Geste important. Et absurde. Cette acharnement. LA PREMIÈRE FOIS QUE JE SUIS ARRIVÉE A. FAIRE. Feuilles devant le visage. Les mêmes feuilles, tu essayes de les coller au mur. Ça ne tient pas AU MUR. Tenir. A quelqu’un. A quelque chose. Ça tient comment. La raison de jeter les feuilles, devant le guichet : quelle est-elle. Quel est ce jeu. De quoi se défaire. Très légèrement, tiens, une à une, je les jette, les feuilles, devant. Elles tombent, et légères, elles volent, elles planent : un avant-goût du précipité du corps. De la plongée du corps. Le léger d’une feuille. Le poids d’un corps. Le léger d’un corps. Le poids d’une feuille. Une chute. Un vol. Un précipité. Je veux que les filles volent. La perruque rousse. Et comme ça, là, c’est qui. Et quand tu tombes derrière le guichet. Et que tu disparais. Etre vraiment derrière. Qu’on ne te voit plus. Tomber derrière. Plonger devant. Etre en embuscade, derrière, en repli, en retrait. Objectif : passer devant. Etre derrière la table vraiment derrière et ne plus être visible. Ou. Etre à côté, et visible. Est-ce qu’il y a dans l’air un moustique qui te tourne autour : la première fois que tu claques des mains. Le mouvement des mains sur la table semblent nettoyer, et : il n’y a rien à nettoyer. La première fois. Les mains nettoient vraiment quelque chose, il y a vraiment quelque chose à nettoyer, la deuxième fois. Les bretzel. Les miettes des bretzel. Un geste : parce qu’il y a un moustique. Un geste : parce qu’il y a quelque chose ou quelqu’un : qui te fait réagir. Chaque geste : est une action en rapport à une autre présence. Le geste : avec le moustique. Le même geste : sans le moustique. Une raison pour le geste. Un geste : dans le souvenir. La raison du geste : est inscrite dans le corps. L’origine du geste : est à l’extérieur du corps. Trouver. Avoir. Une raison, pour le geste. Une mémoire, du geste. Perdre. La raison. Faire un tour. Faire le tour. De la mémoire. De la raison. Du corps. Un tour. Dans le corps. Faire un tour. Sur la place. Faire la place. Faire surface. Faire du surplace. Faire un corps. C’est parce que tu te tends vers l’ordinateur que ton visage est vers le micro et qu’alors tu parles. Les trois questions, tu te les poses d’abord à toi. Ah oui. Et vous. Et toi. [13 mars 2008, 10h43]. 1. désignation du monde par les feuilles et les mots écrits sur les feuilles, désignation du monde avec les feuilles. Par les chiffres. Par les mots. Ecrire : ascenseur. Lire : lumière, sol, perruque. Ecrire : table, chaise. Lire : assistante, bilingue, à votre service. Répéter. Assistante bilingue : à votre service. Improviser. Et. Si je prends du recul, est-ce que je franchis plus facilement l’obstacle. Assistante. Bilingue. A votre service. Musique. Perruque rousse. Synchronie. Rupture. Un silence. Un blanc. Dans la musique. Combien de corps. Me faudra-t-il laisser. Assistante. Bilingue. A votre service. Faire un tour.


[23 octobre 2008]